La première fois que j’ai voulu photographier les citadins de cette ville j’ai pris mon reflex numérique. Mais je me suis rendu compte que de mettre le viseur de ce gros boitier devant mes yeux alertait les passants qui aussitôt baissaient leur tête ou enfilaient leur masque d’homme parfait.
Bien décidé à avoir les portraits volés des inconnus de ma ville, je prend mon Rolleiflex afin de photographier à hauteur de poitrine. C’est parfait. Les gens ne se doutent de rien. Le format carré rend le cadrage des visages plus facile. Et pour faire la mise au point, je baisse la tête et fais mine de regarder mes pieds. Je suis fondu dans la population.
En marchant dans les rues, le changement de luminosité avec l’ombre et la lumière me font changer mes réglages trop souvent. Je perds du temps. Je perds du temps. Il me faut plus de personnes, plus de passage, plus de portraits. Soudain, il me vient une idée. Le métro. Mais oui, c’est le lieu idéal. Une lumière constante, beaucoup de passage, une entrée, une sortie, et surtout une attente qui dénoue les visages pressés et crispés, en pensifs et fatigués.
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Alors ça y est, j’enchaine. Une fillette par-ci, un vieil homme par là. Et surtout ce mélange de nationalité qui s’exerce sous mes yeux.
Au milieu de la ligne, une femme entre. Doucement, je m’approche pour me placer en face d’elle et attendre qu’elle détache son regard de moi pour la capturer.
Je guète mon viseur. Quand tout à coup, j’entends une voix : «C’est un viel appareil collector que vous avez là ! Qu’est ce qu’il est beau !».Je lève la tête, et je constate que la femme qui est dans mon viseur s’est mise à me parler. Le regard choqué par cette soudaine humanité, j'acquiesce en hochant la tête bêtement. Horreur ! Pourquoi me parle t’elle ? A t-elle com- pris ? Que faire ? Ou sommes nous ? La lumière d’une station approche. Vite les portes ! Elles s’ouvrent enfin. Je sors du métro, et il s’éloigne de moi avec soulagement... Deux minutes plus tard, une nouvelle rame arrive et me voilà reparti.
Cependant, au sein de cette ville, il me faut aller encore plus loin, encore plus profond, encore plus prés de l’intimité, il me faut pousser les portes des habitations.
LETTRE D'UN VOYEUR
Je commence alors une démarche de mise en scène, afin de retrouver ce viol d’intimité que j’ai pu observer, retrouver ce plaisir, qui ne dure habituellement qu’un instant. Je réalise alors des séries en intérieur de scènes intimes. Mais aussi, et surtout, des séries à travers les fenêtres. Car c’est derrière celles-ci que ma solitude est la plus profonde, derrière leurs barreaux, tel dans une cage. Mais le plus important c’est l’histoire à laquelle j'assiste. L’histoire d’un instant. L’histoire d’une vie. D’une résidence, d’un bureau. Et à cet instant, je suis à la fois dedans et dehors, fasciné par l’inépuisable diversité de la vie.